Loin de n'être qu'une méthode à appliquer ou une recette toute faite, voici la position de Strate sur le Design Thinking et l'enseignement que l'on en fait à ce jour.
De tout temps, la France a été une terre de sciences, d’inventions et d’innovation. Le Génie français n’est pas un vain mot, qui a amplement participé à la mise en forme du monde moderne. Les grandes figures ont été des ingénieurs, issus de grandes écoles, créées pour la plupart par Napoléon 1er, et souvent rattachées, dans leurs noms mêmes, à des enjeux industriels et logistiques (Mines, Ponts et Chaussée, Arts et Métiers, …). La rationalité des sciences et des techniques n’a jamais été mieux valorisée qu’en France tant elle servait aussi une certaine idée du monde, déterministe, où tout peut se mettre en équation, et où toute solution est donc univoque et mécanisable.
Cette idée, très linéaire, a pu faire la fortune de la France dans un monde d’industrie lourde et de plans quinquennaux, dans un monde fermé et pyramidal. Elle devient un fardeau dans un monde numérisé, ouvert, horizontal et changeant. C’est une évidence largement partagée, que notre système éducatif, bâti pour être au service de cette linéarité, est en décalage total par apport aux enjeux du XXIème siècle. Mais rien pourtant ne laisse présager une quelconque révolution systémique dans la production de nos élites et de leur manière de penser. Passer deux ans de sa vie à bachoter pour préparer des concours en ignorant le monde n’est certainement pas le meilleur moyen de s’apprêter à le transformer.
De fait, nos Grandes Ecoles sentent bien que le monde a changé, et tentent sincèrement d’infléchir et de nourrir leurs pédagogies d’innovations méthodologiques qui permettraient de resynchroniser leurs diplômés avec les nécessités du monde. Le Design Thinking est de celles-là.
Venu des Etats-Unis, et notamment promue par Tim Brown et sa fameuse agence IDEO, le Design Thinking se veut une méthode de résolution de problème non linéaire qui permet une approche empathique de l’utilisateur final, en intégrant des phases d‘observation, de créativité, de prototypage, de tests, de manière itérative. Et si elle réussit, c’est qu’elle s’inspire plus que fortement de – en fait elle copie – la démarche du designer, qui fait cela depuis… toujours.
Si la méthode a fait la fortune d’IDEO, et de quelques autres acteurs du marché, c’est qu’elle est très liée à un pragmatisme anglo-saxon légendaire, qui ne s’embarrasse pas d’approche hiérarchique des savoirs et des pratiques, au contraire de chez nous, où les disciplines sont hiérarchisées, où l’ingénieur et le manager prévalent, quand ils ne l’ignorent tout simplement pas, sur le designer.
Le Design Thinking devient alors une forme de panacée, une méthode livresque, la plupart du temps enseignée par des non-designers, qu’il suffirait d’appliquer pour obtenir des résultats pertinents ! Les designers, comme de sages citrons pressés, auraient ainsi délivré leurs savoirs, leur pensée même, pour que d’autres, plus sérieux, puissent, sans eux, résoudre des problèmes centrés sur l’utilisateur. Le Design Thinking est un Thinknapping.
Le problème est que le design est un tout, et que sa pensée est consubstantielle d’une pratique : il n’y a pas de Design Thinking sans Design Doing, et les séparer, c’est les stériliser. C’est parce qu’il « représente », à chaque moment de sa démarche – de la création à la communication, en passant par l’observation, la formalisation et le test, que le designer trouve des solutions innovantes. Vouloir Penser sans Faire est donc voué à l’échec.
Plus que de vouloir se substituer au designer, en lui empruntant en solitaire sa méthode, il est plus que nécessaire d’intégrer des designers dans des équipes pluridisciplinaires et faire alors de la méthode le champ méthodologique dans lequel baignent tous les acteurs, les designers en étant les producteurs autant que les garants.
Une telle solution, pourtant si simple, heurte encore nos modèles éducatifs, mais aussi nos organisations, et plus encore nos modèles de pouvoir. Car l’enjeu est bien là ! Notre vision du monde est datée, et tout ce qu’elle induit est désynchronisé. En réinventant l’éducation de la primaire à l’université en réconciliant la pensée et l’action dans une pédagogie par projet, en faisant du métissage des disciplines une réalité permanente, en mettant les talents individuels au service de démarches collectives, en valorisant des approches en réseau, notamment dans TOUTES nos institutions, nous pouvons resynchroniser le génie Français avec son époque, tout en affirmant paradoxalement sa singularité.
Ce serait une révolution ?
Ce ne serait pas la première. Elle nécessite de l’empathie, de l’énergie, de la créativité, du culot.
Elle nécessite du design.
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